Montage théâtral de l'option du lycée Urfé 2017


Travail à partir des textes de Matéi Visniec, Migraaaants, On est trop nombreux sur ce putain de bateau, ou Le Salon de la Clôture (2016) et de quelques poèmes d'Erri de Luca, Aller simple, Des lignes qui vont trop souvent à la ligne (2008).

 

Intervenante & partenaire théâtrale Béatrice Moulin, du Trouble théâtre, Saint-Etienne.


EXTRAIT 1 (scène 11) (Texte paru en juillet 2016 chez l’Œil du prince)

 

LA FEMME. — Tu ne sais pas, mais maintenant ça va tomber sur nous.

L’HOMME. — Ça, quoi?

Pause. Quelqu’un frappe à la porte.

LA FEMME. — Tu vois?

L’HOMME. — Quoi?

LA FEMME. — Ça commence.

L’HOMME. — Mais va ouvrir...

LA FEMME. — Moi, je ne sais pas si c’est bien d’ouvrir.

L’HOMME. — Mais, parce que c’est notre porte, on peut l’ouvrir, non?

LA FEMME. — Moi, je ne sais pas si c’est bien d’ouvrir. Justement, parce que c’est notre porte, on peut aussi ne pas l’ouvrir.

Pause.

L’HOMME. — N’aie pas peur, on est chez nous. Va ouvrir, merde!

La Femme va ouvrir. Au seuil de la porte: le Migrant.

LE MIGRANT. — Hello!

LA FEMME, vers l’Homme. — Voilà, je t’avais bien dit...

L’HOMME. — T’avais dit quoi?

LA FEMME. — Maintenant, qu’est-ce qu’on fait de lui?

L’HOMME. — Bah, je ne sais pas... Mais il t’a dit bonjour, dis-lui au moins toi aussi bonjour.

LA FEMME. — Il ne m’a pas dit bonjour. Je ne sais pas ce qu’il m’a dit.

L’HOMME. Il t’a dit bonjour. Ce qu’il a dit, ça veut dire bonjour. Alors dis-lui bonjour.

LA FEMME. — Bonjour.

Le Migrant sourit. Il a un téléphone portable dans sa main et le montre vers la Femme et vers l’Homme. (...)


Photos de la générale du jeudi 06/04/2017


EXTRAIT 1 (scène 21)

 

LE PASSEUR 1 – Si vous allez en Allemagne, une fois arrivés à la frontière, enfilez un T-shirt avec le portrait d’Angela Merkel, ça peut aider. Si vous voulez, vous pouvez l’acheter dès maintenant, on vous vend des T-shirts comme ça à cinq dollars la pièce.

LE PASSEUR 2 – Quand vous entrez en Allemagne, dites « c’est Madame Merkel qui m’a invité », ça peut aider.

TOUS LES TROIS – Que Dieu vous protège, un jour cette terre que vous voyez là sera à vous ! (...)


EN gros plan ...


EXTRAIT 3 (SCÈNE EN RÉSERVE 4) :

 

(...)

MIGRANT 3. — Vous allez voir, vous allez comprendre...

MIGRANT 4. — Parce qu’un jour vous-mêmes vous allez devenir des migrants...

MIGRANT 5. — Vraiment, c’est le moment de fonder un nouvel humanisme...

MIGRANT 6. — L’humanisme migratoire...

MIGRANT 7. — Nous n’allons jamais vous poser les questions bêtes si fréquemment engendrées par vos idéologies...

MIGRANT 1. — Genre : « Vous êtes avec nous ou contre nous? »

MIGRANT 2. — Car nous et vous, nous sommes dans le même bateau...

MIGRANT 3. — Et nous devons naviguer tous sur la mer de nos différences, de nos haines, de nos contradictions et de nos dilemmes...

MIGRANT 4. — Et il n’est pas normal d’installer des barbelés sur un bateau...

MIGRANT 5. — Debarbelésons-nous, chers amis.

MIGRANT 6. — Il y aura sûrement de grosses vagues pendant notre voyage...

MIGRANT 7. — Mais au moins on est sûrs que sur les vagues on ne peut pas planter des barbelés...


NOTE DE L’AUTEUR

 

Réfugiés : l’Europe se désintègre ; Réfugiés : la mort clinique de l’Europe. C’est avec des titres comme ceux-ci que journal Le Monde, mais

aussi toute la presse européenne analysait, à la fin du mois de février 2016, le phénomène du flux migratoire. Grand changement d’attitude si on pense qu’en septembre 2015, suite à la mort, par noyade, en Mer Egée, d’un petit syrien d’origine kurde de 5 ans prénommé Aylan, toute la presse saluait la générosité avec laquelle l’Allemagne et surtout Mme Angela Merkel ouvrait les bras pour accueillir un million de réfugiés…

En l’espace de seulement cinq mois l’Europe a paniqué. Les responsables politiques mais aussi l’opinion publique ont compris que sur la

planète, il y a environ 80 millions de personnes qui vivent dans des régions en guerre et qui ont le droit, en principe, de demander  protection internationale, donc asile politique en Europe. Les frontières ont commencé à se refermer, le symbole du fil de fer barbelé a ressurgi des entrailles cauchemardesques de l’histoire.

L’Europe ne sait pas ce qui lui arrive, ne sait pas ce qu’elle doit faire, et la tentation est grande de renier ses valeurs (libre circulation, droits de l’homme, société ouverte, etc.) pour arrêter les millions de candidats à l’exil qui sont en route.

 

Question : est-ce que le théâtre peut devenir un espace de débat sur ces sujets ?

 

Oui, c’est ma réponse, et c’est pour cela que j’ai ouvert ce chantier, c’est-à-dire l’écriture d’une pièce sur les migrants. En tant que journaliste à Radio France Internationale je suis tout simplement « noyé » dans des informations et des reportages concernant les migrants. J’ai découvert moi-même, suite à mes voyages en Grèce, en Italie, en Hongrie ou en Grande Bretagne, certaines « réalités ». Mon intention est d’utiliser cette « matière » pour essayer de comprendre les motivations profondes d’une grande mutation humaine, culturelle et géopolitique.

 

Je suis convaincu qu’il ne s’agit pas tellement d’un « phénomène migratoire d’une ampleur sans précédent », mais d’une sorte de  révolution de partage. Une gigantesque révolte passive se cache derrière ce mouvement (motivé aussi par l’instinct de survie). 

Ces centaines de millions de gens rappellent aussi à l’Occident que son modèle économique, politique et culturel se mondialise mal. C’est

un modèle qui fonctionne seulement sur un périmètre restreint de terre habitable, tandis que le reste de la planète assiste au « festin des

privilégiés » en regardant seulement la télé…

C’est sûrement une injustice pour laquelle les inspirateurs de ce modèle, les Occidentaux, doivent aujourd’hui payer l’addition.

La révolution à laquelle on assiste, c’est celle du repartage de l’accès au bonheur dans le monde.

 

Mais le théâtre n’adopte ni le langage politique ni celui de la sociologie ou de la pédagogie pour faire son travail de compréhension, pour stimuler la réflexion et éventuellement éveiller les consciences.

 

Dans ma pièce modulaire je propose des scènes courtes et des situations dramatiques (inspirées de faits réels) où j’essaie de suggérer

le grand dilemme moral dans lequel se trouve l’Europe.

L’année passée 10 000 enfants sont arrivés seuls en Europe où on a perdu leurs traces, un phénomène qui devrait inquiéter plus le monde

civilisé et les gouvernements européens.

Par cette pièce, ce qui m’intéresse c’est autant parler de l’industrie du trafic des êtres humains que de la mécanique marchande du phénomène.

Dans le monde des passeurs et des trafiquants tout a un prix, pour eux la détresse humaine est un filon aurifère à exploiter, c’est une

source pratiquement inépuisable de profit.

Mais surtout j’ai envie de capter dans cette pièce le côté émotionnel et humain du phénomène.

C’est une tragédie de l’humanité qui se déroule devant nos yeux, digne du théâtre antique grec où l’homme se

confrontait à la force implacable du destin.

J’ai voulu aussi, dans ce texte, dénoncer la « pensée politiquement correcte » qui a atteint les limites du supportable et de la décence

mentale en Occident.

Se cacher derrière la pensée politiquement correcte afin d’éviter de voir les réalités de ce monde et d’assumer l’action, ce n’est plus pardonnable. 

(…)

D’une certaine manière, je fais voyager le spectateur presque tout le temps, entre le Sinaï et la côte turque, entre l’Afrique et Birmingham, entre l’île de Lesbos et une capitale européenne dont je ne précise pas le nom. J’ai voulu écrire une pièce en mouvement, une pièce débat, une pièce qui dévoilent des pratiques inhumaines et qui pousse à la réflexion. Je ne suis pas, dans cette pièce, dans la position d’un juge. Je ne juge personne, je capte seulement des situations dramatiques qui m’ont ému et troublé en tant que journaliste. Et je les présente comme un puzzle théâtral qui a besoin d’un grand investissement de la part du metteur en scène, des comédiens et du public pour fonctionner… Cette pièce se veut une proposition pour une aventure artistique collective ayant comme but au moins une chose : casser l’indifférence.(...)

                                                                                   Matéi Visniec