Montage théâtral 2018                        Asiles politiques


Matéi Visniec

 

 

- L’histoire du communisme racontée aux malades mentaux (1998):

Nous sommes en 1953, à Moscou, quelques semaines avant la mort de Staline. Un écrivain est invité par la direction d'un grand hôpital de malades mentaux en vue d'une expérience particulière : réécrire l'histoire de la Révolution de telle façon que les débiles légers, moyens et profonds puissent la comprendre... La direction croit que cette "thérapie" pourrait aider à la guérison des malades...

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-« Voix dans la lumière aveuglante », in Théâtre décomposé ou l’homme-poubelle (1996), 

Le laveur de cerveaux(...)toute une galerie de personnages derrière un miroir onirique tourné vers le monde. Des monologues et des dialogues qui sont les éléments d'une architecture textuelle pour un théâtre modulaire. 

 

- Du pain plein les poches (2004):

L'Homme à la canne, et l'Homme au chapeau vilipendent "ces gens-là" qui ne sont pas des hommes, mais des "salopards, des sadiques, des assassins, des crapules". Ils s'approchent d'un puits, regardent au fond, y jettent une pierre. On entend des aboiements. Quelqu'un y a jeté un chien. Ils viennent, non le sortir de là, mais s'assurer, comme hier, comme demain, qu'il est toujours vivant, et... lui jeter un croûton de pain. D'autres l'ont fait aussi. Le chien est en vie mais comment le libérer ? Il faudrait faire quelque chose mais quoi ?

 

- Une baignoire révolutionnaire

(2012):

Une baignoire révolutionnaire s'ouvre sur un chant rebelle ; deux hommes et une femme sont dans une baignoire et mettent en scène la vanité des révolutions.


- L’HISTOIRE DU COMMUNISME RACONTÉE AUX MALADES MENTAUX (1998):



Iouri Petrovski devant un parterre de malades mentaux "légers".
IOURI - Ouvrez largement la bouche. (Les malades s'exécutent.) Dites u.
LES MALADES - Uuuuu... uuuuu...
IOURI - Respirez... 
LES MALADES - Uuuu...
IOURI - Remplissez d'air vos poumons... Plus fort... Encore... 
LES MALADES - Pfouuuu...
IOURI - Remplissez vos poumons d'air... Encore... 
LES MALADES - Uuuuu...
IOURI - Dites "utopie". 
MALADE 1 - Ne tirez pas, camarades!
KATIA - Tais-toi, Piotr.
IOURI - Encore une fois... "Utopie".
LES MALADES - Uuuuu...
MALADE 1 - Ne tirez pas, camarades!
KATIA - Piotr, ferme-la.
IOURI - Concentrez-vous bien, c'est un mot qui a une courbe montante. C'est comme un cheval qui se cabre... "Utopie"...
MALADE 2 - Le cheval pisse debout! Pourquoi alors...
KATIA - Tais-toi, Ivan.
IOURI - Vous entendez comme ça monte? Ca monte et ça embrasse le ciel.

Plusieurs malades se signent.

KATIA - Continuez, Iouri Petrovski.
IOURI - Ca commence dans votre bouche et ça s'arrête aux étoiles. "Utopiiie"... 
LES MALADES - Utopiiie.... Utopiiie...
IOURI - Très bien.
LES MALADES - Utopiiie... Utopiiie...
KATIA - Arrêtez! Continuez, Iouri Petrovski.
IOURI - Donc, c'est quoi une utopie?
LES MALADES - Utopiiie... Utopiiie...
MALADE 2 - Je veux pisser debout! Je veux...
KATIA - Ta gueule, Ivan. Continuez, Iouri Petrovski.
IOURI - Une utopie c'est lorsqu'on est dans la merde et qu'on veut en sortir.

Silence glacial. Les malades ont l'air consterné.

IOURI - Mais avant de sortir de la merde il faut y réfléchir.
MALADE 2 (à voix basse, vers son voisin, le Malade 3) - Ca veut dire qu'on va pouvoir pisser debout?
MALADE 3 - Chut!
IOURI - Et si tu réfléchis bien tu vois que tu n'es pas le seul à être dans la merde et à vouloir en sortir. Alors, tu réfléchis et tu vois que tu ne peux pas sortir de la merde tout seul, tu ne peux sortir de la merde qu'avec les camarades qui sont avec toi dans la merde.
MALADE 3 - Iouri Petrovski, je peux vous poser une question?
IOURI - Oui.
MALADE 3 - Pourquoi ça fait toujours click, clac, plouf?
KATIA - T'arrête, Sacha.
MALADE 1 - Votre mère est toujours en avion, Iouri Petrovski?
IOURI - Ma mère est morte, Piotr.
KATIA - Continuez, Iouri Petrovski.
IOURI - Donc, plus tu réfléchis, plus tu vois que tu ne peux pas sortir de la merde tout seul, tu ne peux sortir de la merde qu'avec les camarades qui sont avec toi dans la merde. (Silence dans l'assistance.) Mais ceux qui t'ont foutu dans la merde ne veulent pas que tu sortes de la merde. Ils ne te laissent pas sortir de la merde, ni toi, ni tes camarades qui sont avec toi dans la merde. Car eux, ceux qui t'ont foutu dans la merde, sont forts, car ils sont unis.
LES MALADES (se déchaînent)
- Uuuuu... 
- Iouri Petrovski, une question...
- Il n'y a pas que le cheval qui pisse debout...
- Click, clac, plouf!
- Faites vos jeux, ladies et gentlemen.
- Ribbentrop-Molotov! Ribbentrop-Molotov!
- Non, non, non... Non, non, non, c'est pas vrai... Non, non, non...
- Est-ce que Henri Barbusse est encore en vie?
- Utopiiie... utopiiie...
- Tirez, camarade, tirez!
- L'avion, il n'a rien.
KATIA - Silence, camarades! Continuez, Iouri Petrovski.
IOURI - Alors, pour sortir de la merde, toi et tes camarades, il faut que vous soyez, vous aussi, unis. C'est ça que le camarade Lénine a dit un jour...
MALADE 3 - Qui? (Il commence à pleurer d'une façon hystérique.) Qui? Click, clac, plouf?
KATIA - T'arrêtes, Sacha.
IOURI - C'est ça que le camarade Lénine a dit un jour, en 1915, lorsqu'il était à Zurich qui est une ville en Suisse...
MALADE 4 - C'est pas en Suisse, ça...
IOURI - ...qui est un pays qui n'était pas dans la merde. Camarades, a dit le camarade Lénine...
MALADE 4 - C'est pas en Suisse, ça...
IOURI - ...pour sortir de la merde il ne suffit pas de vouloir sortir de la merde, il faut être unis. C'est ça que le camarade Lénine a dit un jour, en 1915, à Zurich, où il s'était réfugié...
MALADE 1 - Vive le Grand Lénine!
LES AUTRES MALADES - Vive le Grand Lénine!
IOURI - ...avec d'autres camarades pour réfléchir. Et puis tous les gens qui étaient dans la merde en Russie ont dit "oui, le camarade Lénine a raison". Et ils se sont unis...
MALADE 1 - Vive le Grand Lénine!
LES AUTRES MALADES - Vive le Grand Lénine!
MALADE 2 - Lénine n'a jamais dit qu'il ne faut pas pisser debout!
KATIA - Vous fermez vos gueules et vous écoutez Iouri Petrovski.
IOURI - Et ils se sont unis et ils se sont donné la main et ils ont fait un effort et ils sont sortis de la merde. Et les gens qui avaient foutu d'autres gens dans la merde ont été ou tués ou foutus dans des camps. Et alors Staline, grand camarade de Lénine, a dit : "Camarades, c'est pas fini, il faut maintenant construire un pays où personne, jamais, ne puisse plus foutre personne dans la merde". Et Staline a dit : "Camarades, je connais une méthode scientifique pour construire un pays où personne, jamais, ne puisse plus foutre d'autres gens dans la merde".
MALADE 4 - C'est pas en Suisse, ça...


DU PAIN PLEIN LES POCHES

PERSONNAGES :

CHAPEAU
CANNE

 

CHAPEAU - Alors que fait-on ?

CANNE - On fait c'qu'on peut.

CHAPEAU - Alors faisons quelque chose. Moi je constate que nous restons comme ça, les bras croisés, à rien faire.

CANNE - Attendons, peut-être y aura quelqu'un d'autre à passer par ici. Si quelqu'un d'autre vient, c'est possible qu'on trouve une solution. Vous comprenez ? Il est difficile de faire quelque chose seul, dans des trucs comme ça faut pas y aller tout seul. Et puis qui vous dit qu'il veut qu'on le sorte, ce chien. S'il n'en a pas envie…

CHAPEAU - C'est la meilleure : un chien qui ne veuille pas qu'on le sorte de ce puits.

CANNE - On n'en sait rien. Mais c'est une supposition… Il se peut qu'il n'en ait pas envie, voilà !

CHAPEAU - Alors pourquoi il aboie comme ça ?

CANNE - Il aboie comme tous les chiens. Les chiens c'est fait comme ça, ça aboie.

CHAPEAU - Moi je trouve qu'il n'aboie pas comme tous les chiens. Il y a chez celui-ci une espèce de tristesse, un sentiment, un je ne sais quoi…

CANNE - D'où le sortez-vous ce sentiment ? C'est pas du tout triste. Ce chien, il aboie comme n'importe quel chien.

CHAPEAU - Moi je lui trouve quelque chose de déchirant, de…

CANNE - Et moi je trouve que c'est pas déchirant du tout.

CHAPEAU - Alors là, moi, je suis formel, c'était un aboiement déchirant, déchirant à cent pour cent.

CANNE - Vous n'avez nulle idée de la façon dont aboie un chien. C'était un aboiement cent pour cent normal, rien de plus, rien de moins.

CHAPEAU - Arrêtez vos conneries. C'était un aboiement typique de chien qui a peur.

CANNE - C'est pas des conneries, monsieur. C'est comme ça qu'aboient tous les chiens et je n'y peux rien. Y a aucun moyen de savoir si un chien qui aboie a, ou n'a pas peur. Pour le savoir faudrait être chien, alors oui, un chien pourrait se rendre compte de ce que veut dire un autre chien lorsqu'il aboie.